“Un visiteur nommé Thomas a proposé le commentaire suivant concernant l’article La sainteté est-elle la garantie d’une bonne politique ?
La sainteté ne fait pas le médecin ou l’avocat, et inversement ce n’est pas la perfection dans un art qui fera la sainteté. Ces erreurs aussi répandues qu’elles puissent être de nos jours (pour la première dans les milieux charismatiques, pour la seconde dans l’Opus Dei par exemple), sont un préalable à la question, mais pas son développement. Deux critiques donc : I. sur la necessité de la Foi pour le politique II. sur la définition de la politique que vous semblez La politique a pour fin le bien commun soit de créer les conditions matérielles qui vont favoriser aux individus d’atteindre leur fin surnaturelle i.e. de créer des conditions de vie plus vertueuse que si l’on restait seul ou sous une autre forme d’association. Cette poursuite du bien commun suppose donc une claire connaissance de la fin surnaturelle puisque c’est à elle que va être ordonné le reste à titre de moyen. Il n’est que prendre le commencement du commentaire de St Thomas à l’éthique, il affirme ainsi Il [Aristote] dit que la considération de l’âme, dont nous recherchons les vertus, ressemble à l’étude que le médecin fait du corps dont il recherche la santé. Il est donc manifeste que le politique doit connaître quelque chose de l’âme, comme le médecin qui soigne les yeux et tout le corps doit connaître quelque chose de l’oeil et du corps entier. Et il appartient d’autant plus au politique de mieux considérer l’âme, dont il recherche la vertu, qu’il est meilleur politique. Comme il en est de la médecine. On se rend compte que les meilleurs médecins ont des connaissances supérieures sur le corps et ne se contentent pas de connaître les recettes médicales. Donc le politique doit posséder une certaine connaissance de l’âme. Cela suppose donc que le Prince, ait au minimum une connaissance de la loi naturelle, qu’il cherche à y confirmer son action. Pour une civilisation chrétienne l’ordre des choses ne semble pas requerir que le Prince soit necessairement catholique, mais qu’il prenne en compte les données de la Foi, la constitution divine de l’Eglise. On peut tolérer beaucoup de chose, y compris le viol des droits de l’Eglise, mais à titre d’exception, dans une tension temporaire vers le bien. Que le Prince soit individuellement un saint ne fera pas de lui un bon politique, c’est du bon sens. Encore qu’il faille toujours se méfier des doubles critéres : que le Prince ne soit pas à titre personnel un saint ne fera pas à titre personnel de lui un bon politique, mais cela l’incitera justement du fait de l’humilité à chercher de bons hommes de l’art qui supléent à ses défaillances. Si le Prince n’a pas une tension pour conformer sa vie à la Foi, il est difficile d’imaginer qu’il cherchera à créer les conditions qui permettent aux autres d’y conformer leur vie. Tout simplement du fait que cette conformité exigeant plus d’effort que le fait de ne pas la chercher, la tendance du caractére humain va être de ne pas la chercher. Un péché même mortel ne fait pas perdre connaissances et habitus, certes. Mais une personne qui vit en état de péché mortel, n’a pas le soucis de sa fin surnaturelle, la racine des péchés étant un manque de Foi, elle a une défiance de Foi en cette fin surnaturelle. Elle n’est donc certainement pas en disposition de réaliser dans la société ce qu’elle n’a pas le soucis de réaliser dans sa propre vie. Là encore toutes choses étant égales par ailleurs c’est à dire dans le cas où elle ne délégue pas à ceux qui savent. En conclusion il me semble que l’on peur parler d’une vertu politique architectonique et de vertus secondes. La dilomatie, capacité de synthése, d’organisation, de savoir commander, clareté d’esprit etc tout cela sont vertus secondes de la politique. Le Prince peut les avoir ou pas, c’est assez indifférent. La Foi catholique n’est pas directement en jeu. Autre chose est la vertu politique architectonique : le fait de viser la fin. Si le Prince ne vise pas la fin, personne d’autre ne suppléera. Le fait qu’il ne soit pas catholique est un handicap, aussi doué soit il dans les vertus secondes de la politique. Il ne guidera pas le bateau au bon port. II. Les exemples que vous donnez sont complétement étranger à la politique : La politique est l’art de faire durer les États. Absolument pas ! la politique a pour fin le bien commun c’est la définition assumée comme principe. Par suite l’organisation : la société civile a valeur de moyen. De même qu’une association loi 1901 existe pour l’objet social, et non pour elle. De même un Etat existe pour la vie vertueuse des sujets, s’il y a un autre moyen d’assurer une vie plus vertueuse il convient de l’adopter : demembrer cet Etat en plusieurs, le reunir à un autre, etc. Certes la politique integre necessairement une vision à long terme, mais elle n’est pas l’art de faire durer ce qui n’est qu’un moyen. de même que les administrateurs d’une association n’ont pas pour fonction de faire durer cette association. La comparaison de Louis XIV avec Louis XVI est caricaturale : l’un comme l’autre me semble t il ont violés la constitution divine de l’Eglise, mais pas dans les mêmes conditions. La morale n’est pas la science de la reussite sociale ou selon les critéres du monde. On suppose que Louis XVI a perdu le Royaume, en va t il ainsi ? Louis XIV n’a pas vu son regne se terminer par un renversement, mais la regence a t elle été meilleure ? La sclerose des institution, ce qu’on nomme l’Ancien Régime, est justement une des causes de la Révolution me semble t il. C’est trancher vraiment rapidement et selon des critéres biaisés. Louis XVI a réalisé et entamé des réformes qui montrent son soucis de bien regner, je ne suis pas convaincu que l’action de Louis XIV, favorisant l’absolutisme, gallicanisme, geurres de prestige, etc ait été aussi bonne pour ses sujets. Les paroles de Péguy sont ahurissantes : le relévement de la Prusse en 1813 comme exemple à suivre ? pas besoin même de commenter, alors les Etats Unis ou l’Etat terroriste d’Israel sont aussi un model puisqu’ils « reussissent » Quelques reflexions, c’est une vraie question que la politique, ainsi que vous l’indiquez dans un post précédent. La mentalité contemporaine, mondanisée, les medis, a fait integrer que n’importe qui peut avoir un avis dans tous les domaines : économique, social, sportif, administratif, etc en violation du fait que chaque science demande pourtant une vraie compétence ; et d’avoir un avis sans avoir les éléments pour statuer, quand bien même on aurait les compétences. Le fait d’être catholique ne donne pas la science infuse, la simple morale ne permet pas de trancher sur la plupart des points dont les médias discutent. Pour autant sagissant de la politique comme science architectonique, sans la Foi, aussi bon capitaine soit on, il y a peu de chance qu’on guide le navire au bon port. sentiments déférents, un disciple de St Thomas.
Voici la réponse de Bernard de Midelt.
Réponse sur trois domaines :
- I.- Analyse politique : Sur le fait que, dans l’agir humain politique, la cause efficiente est première dans l’ordre de la génération
- II.- Science politique : Sur la définition thomiste de la cause finale de la Cité.
- III.- Science théologique naturelle et science apologétique : Admettre la nécessité de la foi pour faire de la politique, c’est tenir la théorie moderniste
I - Analyse politique : Sur le fait que, dans l’agir humain politique, la cause efficiente est première dans l’ordre de la génération
Mon contradicteur confond la politique et la science politique. La raison discursive implique que la finalité de la Cité soit première (dans l’ordre hiérarchique) dans l’étude de la science politique. Mais dans la vraie vie, autrement dit en politique, c’est la cause efficiente qui est première. Première car elle vient en premier (et donc première au sens chronologique). Cette distinction qui n’est malheureusement plus enseignée, Thomas d’Aquin en fait même une application en ce qui concerne les rapports entre les vertus naturelles, actives et contemplatives (ST, IIa IIae, q 182, a 4) : Dans un sens, la vie contemplative a la priorité sur la vie active, car elle concerne des réalités plus hautes. C’est pourquoi elle meut et dirige la vie active (première au sens éthique) Dans un autre sens, la vie active a la priorité sur la vie contemplative, à laquelle elle nous dispose normalement (sous certaines conditions) (donc première au sens chronologique).
En ce qui concerne la cause efficiente de la Cité, en tant que première, il suffit de se reporter au début du De regno : « En effet, comme les hommes existent nombreux et que chacun pourvoit à ce qui lui convient, chacun irait de son côté, s’il n’y avait quelqu’un pour avoir soin du bien de la multitude. Ainsi le corps de l’homme, comme de n’importe quel animal, se désagrégerait, s’il n’y avait dans ce corps une certaine force directrice commune, ordonnée au bien commun de tous les membres. Cette considération inspire à Salomon la parole suivante dans les Proverbes, chapitre XI, verset 14 : Là où il n’y a pas de gouverneur, le peuple se dissout. »
Par suite, dans l’analyse politique qui amène à s’interroger sur le règne de Louis XVI, le fait brut, que tout un chacun peut connaître, est que le pouvoir politique a échappé à Louis XVI de son vivant, non seulement l’exercice du pouvoir lui-même mais encore sa dévolution. Ce n’est pas caricaturer la situation, c’est l’analyser politiquement. En général, les historiens épiloguent sur les causes de cette situation. Mais, jusqu’à ce jour, personne n’avait nié le fait et sa gravité. La position de mon contradicteur est donc apolitique : « On suppose que Louis XVI a perdu le Royaume, en va-t-il ainsi ? » nous dit-il.
Cette conclusion de mon contradicteur provient de sa prémisse : « La politique est l’art de faire durer les États. Absolument pas ! » Or qui veut la civilisation, en veut forcément l’artisan indispensable, autrement dit l’État. Et pour que la poursuite de la finalité se conserve dans le temps, il faut évidemment que le pouvoir perdure, c’est élémentaire. Mon contradicteur nie donc l’interdépendance des causes des réalités naturelles, à savoir dans le cas présent, l’interdépendance de la finalité de la Cité et de l’État. En politique peu importe l’idée que l’on peut avoir de la finalité de la Cité, si l’on n’a pas le pouvoir politique comme il en est des catholiques depuis un siècle, cela ne sert de rien. Mais apparemment, chez certains d’entre eux, un siècle ne leur a pas encore suffit.
Tout ceci est tellement connu qu’un cas de figure politique classique est celui de l’usurpateur qui déroge aux règles de la dévolution du pouvoir, et à ce titre devrait être considéré comme un tyran. Mais, dans la mesure où il poursuit après sa prise de pouvoir et au moins analogiquement la finalité de la Cité, il deviendra Autorité légitime. La conquête du pouvoir politique bénéficie donc d’une priorité chronologique. Le jugement sur la moralité de l’agir humain politique (nommé en terme technique la légitimité) ne vient que dans un deuxième temps. Ce que mon contradicteur nie.
Comble d’apolitisme, la critique par mon contradicteur du relèvement de la Prusse cité par Péguy et repris comme on le sait par Jean Madiran à titre d’exemple politique : « le relèvement de la Prusse en 1813 comme exemple à suivre ? Pas besoin même de commenter » Autrement dit, des chiens, ces prussiens ! Qu’ont-ils besoin d’une Cité ? Heureusement que mon contradicteur ne dirige pas un État.
In fine, du moins sur ce point, paraphrasant mon contradicteur, je dirais volontiers qu’il apparaît comme étranger à tout politique.
II - Science politique : Sur la définition thomiste de la cause finale de la Cité
Les avis des auteurs sur ce que doit être la finalité de la Cité sont des plus variés. Mais deux choses au moins sont sûres : La première : la finalité de la Cité n’est pas définie dans le catéchisme, ni en théologie dogmatique. On en chercherait en vain une telle définition dans le Denzinger, (dont pourtant un théologien aussi célèbre chez les thomistes que le p. Garrigou-Lagrange faisait grand usage). La deuxième : Thomas d’Aquin, ni en tant que philosophe, ni en tant que théologien, n’a jamais défini la finalité de la Cite comme étant ce que nous dit mon contradicteur : « La politique a pour fin le bien commun soit de créer les conditions matérielles (sic) qui vont favoriser aux individus d’atteindre leur fin surnaturelle (resic). » Tout ceci affirmé froidement sans référence aucune à l’aquinate, évidemment.
Que mon contradicteur soit tout à la fois personnaliste et partisan du surnaturalisme politique, c’est son affaire. Mais qu’il cherche à faire croire aux lecteurs qu’il s’agit là de la thèse thomiste est difficilement admissible.
Tonquédec avait dressé une liste de quatre catégories d’intermittents du thomisme. Il en avait oublié une : la catégorie des “Thomas d’Aquin pense comme moi”.
III - Science théologique naturelle et science apologétique : Admettre la nécessité de la foi pour faire de la politique, c’est tenir la théorie moderniste
Chez mon contradicteur ce n’est pas seulement sa définition de la finalité de la Cité qui est critiquable. D’autres propositions le sont aussi : « Cette poursuite du bien commun suppose donc une claire connaissance de la fin surnaturelle puisque c’est à elle que va être ordonné le reste à titre de moyen . » (ie les païens n’ont jamais su faire de politique, l’Empire romain n’a jamais existé !!) « Pour autant s’agissant de la politique comme science architectonique, sans la Foi, aussi bon capitaine soit on, il y a peu de chance qu’on guide le navire au bon port. » (c’est la thèse du moderniste Pierre Rousselot) « Le fait qu’il ne soit pas catholique est un handicap… »
Mon contradicteur espère trouver l’unité de l’économie de la création dans un monophysisme naturalo-surnaturel. Autrement dit “ordre naturel” et “ordre surnaturel” sont pour lui des manières de parler mais dénués de toute réalité (erreur que l’on nomme “nominalisme”). Dans la mesure où, pour lui, l’ordre naturel n’existe pas vraiment, il ne voit pas d’inconvénient majeur à ce qu’une unité d’ordre de l’ordre naturel, la Cité, ait sa finalité dans l’ordre surnaturel.
Pour réfuter une partie de ces erreurs (en attendant de revenir sur la notion de bonum commune chez l’aquinate) on se reportera à l’étude qui a débuté sur ce même site : La politique des États non-catholiques et la vraie religion.