NM écrit[1] : « Le magistère pontifical possède une autorité supérieure à celle des docteurs de l’Église, même lorsqu’il s’agit du Docteur commun. »

Nous nous proposons de réfuter cette proposition dogmatique en montrant qu’elle n’est pas catholique. Nous en stigmatiserons les effets pernicieux. Et surtout nous en montrerons les causes.

Mais, avant même d’aller plus loin, nous allons régler le sort de cette autres affirmation hasardée de NM : « On invente une opposition supposée au Docteur commun du seul Léon XIII (parce qu’on n’ose pas encore s’attaquer à saint Pie X). »

Le « pas encore » est une trouvaille. Ce n’est pas demain effectivement qu’on va s’attaquer à nouveau à saint Pie X sur ce chapitre. Car la chose a déjà été faite et bien faite. Elle est racontée en détail par Jean Madiran dans sa postface au livre du p R-Th. Calmel Brève apologie pour l’Église de toujours[2]. La critique du P. Calmel, de Jean Madiran et de Louis Salleron porta justement sur la déclaration suivante, extraite du Discours aux prêtres de l’Union apostolique, discours de saint Pie X, déclaration citée par Jean Ousset dans Pour qu’Il règne :

« On ne limite pas le champ où il (le pape) peut et doit exercer sa volonté ; on n’oppose pas à l’autorité du pape celle d’autres personnes, si doctes soient-elles, qui diffèrent d’avis avec le pape. D’ailleurs, quelle que soit leur science, la sainteté leur fait défaut, car il ne saurait y avoir de sainteté là où il y a dissentiment avec le pape.[3] »

Comme il ne faut pas encourager outre-mesure la paresse intellectuelle, nous renvoyons pour la connaissance des raisons invoquées là-contre par le p. Calmel à la postface de Jean Madiran. Le fait est qu’à la suite des remarques du P. Calmel, Jean Madiran supprima de la revue Itinéraires, dont il était le directeur, la phrase citée supra que l’on trouvait depuis les débuts de la revue[4].

Revue Itinéraire n°17 - Citation de Saint Pie X
Revue Itinéraire n°17 - Citation de Saint Pie X par la suite supprimée

 

Revenons maintenant à la proposition dogmatique soutenue par NM dont on aura remarqué au passage la proximité avec le texte de saint Pie X : « Le magistère pontifical possède une autorité supérieure à celle des docteurs de l’Église, même lorsqu’il s’agit du Docteur commun. » (par la suite : proposition dogmatique NM).

Cette proposition dogmatique NM dit autre chose que ce que soutient le concile Vatican I :

« Ces définitions du pontife romain - lorsqu’il parle (seul) ex cathedra - sont irréformables par elles-mêmes […] »[5]. On en déduit que les définitions du magistère pontifical dont nous parle NM seront éventuellement réformables lorsque le pape ne parle pas ex cathedra[6]. Si l’autorité du magistère pontifical ordinaire était supérieure à tout, personne ne pourrait jamais dire de certaines définitions éventuellement réformables qu’elles sont effectivement réformables.

 

On pourra consulter également les Précis de théologie dogmatique de L. Ott ou de mgr B. Bartmann. Ouvrages de référence avant le désastre conciliaire et encore utilisés de nos jours dans les séminaires réputés sérieux. On n’y trouvera pas la proposition dogmatique NM.

 

Examinons maintenant quelques conséquences désastreuses de la Proposition dogmatique NM :

I.- Léon XIII tient que « le pouvoir civil, considéré comme tel, est de Dieu et toujours de Dieu.[7] »

Thomas d’Aquin tient de son côté la proposition contradictoire : non, tout pouvoir n’est pas toujours de Dieu.[8]

Il suffit de se reporter aux deux textes pour voir que c’est évidemment saint Thomas qui a raison. Sauf à quitter le domaine de la raison discursive qui est le nôtre ici pour tomber dans le fidéisme. Rappelons à NM que le fidéisme au sens large désigne toute doctrine d’après laquelle les vérités fondamentales de l’ordre spéculatif et pratique ne peuvent être établies ou justifiées par la raison, mais seulement admises à titre de pure croyances irrationnelles. L’Église a condamné les fidéistes (S. 3, c. 4 ; Denz., 1796) et les semi-rationalistes.[9]

 

II.- Après la publication régulière dans la revue Itinéraires de la phrase «On n’oppose pas à l’autorité du pape celle d’autres personnes, si doctes soient-elles, qui diffèrent d’avis avec le pape », Jean Madiran reconnaissait son erreur et la qualifiait d’inconditionnalité. Il précisait que «l’erreur ne nous était pas évidente » et ajoutait «Par la suite, les évènements se chargèrent de mieux nous instruire », faisant ainsi allusion à l’opposition que les fidèles durent bien développer par la suite contre l’autorité du magistère pontifical de Paul VI. Apparemment les évènements en question qui sont notre lot depuis plus de cinquante ans n’ont toujours pas instruit NM.[10]

 

III.- La proposition dogmatique NM, si l’on accepte d’en assumer la conséquence et si l’on veut bien faire preuve d’une logique élémentaire, conduit tout droit de nos jours au sedevacantisme. Et à plus d’un titre. Car, face à l’hétérodoxie de certaines affirmations pontificales, la proposition dogmatique NM, dans sa généralité destructrice, n’offre plus qu’un seul fusible, à savoir la mise en cause, non plus de la fonction, mais de l’état de l’autorité enseignante. Je m’en tiendrai à cette remarque de principe puisqu’il est contractuel sur ce site de ne point débattre plus avant cette hypothèse.

 

IV.- L’article de l’AFS « À propos du régime politique le meilleur » qui fait l’objet d’une réponse de NM traite du risque de non-poursuite du bien commun en fonction de la forme du gouvernement. NM ne semble pas comprendre que l’argument développé dans cet article est un argument prudentiel. On ne débat pas du simpliciter mais du secondum quid. Dans le domaine qui nous intéresse ici « secundum quid » signifie qu’on envisage une vérité pratique sous un certain point de vue. Simpliciter, au contraire, signifie qu’on considère la chose en elle-même, indépendamment de certains aspects accidentels.

L’argumentation de NM par la proposition dogmatique NM est singulièrement mal venue.

D’une part nous sommes dans le domaine des sciences pratiques dont la science architectonique est la science politique. La science politique ne prend pas ses principes dans la science théologique. On dit qu’elle n’est pas subalternée à la théologie, contrairement à la thèse de J. Maritain[11]. Même si  la théologie per accidens peut jouer un rôle positif vis-à-vis des autres savoirs naturels, tout spécialement pour la théologie naturelle.

D’autre part quant à la vertu qui est concernée ici, c’est la vertu naturelle de prudence politique. Car faire le bien politique nécessite les quatre vertus politiques et tout spécialement la vertu de prudence politique.[12]

Comme « le bien commun est un concept typiquement éthique, et non ontologique[13] », il n’y a pas UNE unique poursuite du bien commun politique mais plusieurs poursuites, toutes différentes suivant les Cités. Et pour poursuivre efficacement un « bonum commune » national, le Prince doit posséder la prudence politique correspondante.

Il est donc parfaitement utopique de prétendre que le pape disposerait par grâce spéciale, du seul fait d’être pape, d’une prudence politique universelle, le rendant apte à conseiller prudentiellement chacun des États du monde.

 

Quelles peuvent être les causes possibles d’une telle méconnaissance tant de l’histoire religieuse récente que de la science dogmatique ?

La première cause, la plus évident est : « Quand il y a une éclipse tout le monde est à l’ombre »[14] et même les théologiens et philosophes catholiques de notre famille de pensée. Certes nous nous revendiquons de la Tradition. Mais avons-nous su conserver la tradition intellectuelle des penseurs thomistes anti-modernistes du vingtième siècle ? On voit parmi nous beaucoup d’auteurs prétendant soigner le modernisme par Léon XIII, le P. Emmanuel ou mgr Pie. Si saint Pie X a écrit Pascendi et Pie XII Humani generis - alors même qu’ils auraient pu dire simplement « reportez-vous à l’enseignement de nos prédécesseurs » – c’est que le modernisme n’est pas un naturalisme. C’est tout autre chose : en particulier une attaque sans précédent contre la réalité des deux ordres, naturels et surnaturels. Défendre l’ordre naturel, c’est donc défendre aussi l’ordre surnaturel.

Pour sortir de l’obscurité il faut donc retrouver l’argumentation développée sous ces deux pontificats contre les futurs « experts » de Vatican II par les thomistes contemporains.

Ce qui ne suffira pas. Il faudra absolument sortir aussi du dilettantisme. Dilettantisme qui s’entend ici comme le fait de ne se soumettre à aucune norme d’ordre intellectuel ou spirituelle, maladie endémique dans notre famille de pensée que l’on peut résumer trivialement par : je lis ce que j’ai envie de lire, quand j’en ai le temps et si l’effort à faire n’est pas trop pénible.

 

B. de Midelt Pour Stageiritès

 


 

[1] http://lefebvristes.forum-box.com/p10984.htm

[2] p R-Th. Calmel, Brève apologie pour l’Église de toujours, éd Difralivre, Diff www.chire.fr

[3] Il s’agit du Discours aux prêtres de l’Union apostolique, discours de saint Pie X du 2 décembre 1912, déclaration citée largement par Jean Ousset dans Pour qu’Il règne (dans le PQR rouge, p 492 note 9).

[4] Cf. par exemple les numéros 17, p. 118 et 23 p. 62.

[5] Á côté du magistère pontifical (ie du pape seul), il existe également le « magistère ordinaire et universel » qui jouit des mêmes prérogatives que celles du pontife romain seul parlant ex cathedra.

[6] Lorsque le pape ne parle pas ex cathedra, le magistère pontifical est qualifié par l’adjectif « ordinaire » ou « authentique ».

[7] Léon XIII, Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892.

[8] Thomas d’Aquin, Commentaire de l’épître de saint Paul aux Romains, Chapitre XIII, Romains 13, 1 à 7.

[9] Pour plus ample informé on se reportera aux débats des thomistes contemporains contre la « philosophie morale adéquatement prise » de  J. Maritain, en particulier aux travaux du p. J-M Ramirez.

[10] Ces évènements auraient dû nous faire apprécier davantage Humani generis et les commentaires inspirés du jésuite mais néanmoins thomiste, le p. L. Renwart.

[11] Les thomistes contemporains qui se sont élevés contre la subalternation de la science politique à la théologie sont nombreux. Cf., entre autres, les arguments du p Th. Deman.

[12] Cf. Gagnebet M-R op, L’amour naturel de Dieu chez saint Thomas et ses contemporains, Revue thomiste 1948-III et 1959 I-II.

[13] Utz Arthur op, Ethique sociale éd universitaires, Fribourg 1960 p 37.

[14] Pèguy, Notre jeunesse, éd NRF idées, p 157.