« Car s’il est une vérité certaine et fondamentale en théologie, c’est que la nature et le surnaturel ne sont point seulement séparés par une ligne de démarcation à peu près insaisissable, mais par un abîme. Ce sont deux ordres irréductibles, deux mondes plus distants l’un de l’autre (à moins que Dieu ne veuille librement les rapprocher) que ne le seraient deux univers indépendants et disparates »1.

Suite à différentes réactions quant au contenu Stageiritès, nous publions aujourd’hui une introduction à ce qui sera une suite d’articles traitant de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel.

Nous avons la joie d’avoir pu rencontrer un accueil des plus enthousiastes à la doctrine Réaliste que nous exposons. Elle correspond à celle de Saint Thomas d’Aquin et de ses plus fidèles disciples, comme nous allons le voir par les citations et les commentaires que nous ferons de ces éminents auteurs.

Cette doctrine (ou plutôt son ignorance), est l’une des clés de la compréhension de nombreuses erreurs actuelles : d’une part, les tentations de rapprochement entre la FSSPX et Rome, mais surtout d’autre part, l’échec multiséculaire de toute reconquête de la cause efficiente de la Société Politique.

 


Réponse à diverses interrogations

Il convient avant toute chose de saisir que nous ne séparons pas l’ordre naturel et l’ordre surnaturel comme l’entendent certain de nos lecteurs ; c’est-à-dire dans la négation de l’existence réelle du second. Par contre, nous les distinguons autant qu’ils le sont dans la Réalité.

Il convient encore de nous défendre du nom mal donné de « naturaliste ». En effet ce nom est échu à ceux qui, encore une fois, nient tout surnaturel, ce qui ne saurait être notre cas. Nous sommes plutôt, dans une grande fidélité à l’Aquinate, des tenants d’une montagne dressée entre deux vallées : la vérité se situant entre deux erreurs opposées : le naturalisme et le surnaturalisme. Le surnaturaliste qui, quant à lui, nie (formellement ou bien par l’aboutissement de ses systèmes, c’est-à-dire pratiquement) l’existence d’un ordre naturel.

On trouve chez Saint Thomas de nombreuses illustration de la distinction de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel : « […] Mais chez les démons, la volonté perverse soustrait l’intelligence à la sagesse divine ; aussi jugent-ils parfois les choses d’une manière absolue, en ne tenant compte que des conditions naturelles. Dans cet ordre naturel ils ne peuvent se tromper, mais pour ce qui relève de l’ordre surnaturel, ils le peuvent. »2

 


Plan de notre étude

Dans un premier temps il conviendra de reprendre la définition de ce qu’est une nature. Nous verrons ensuite que si un ordre surnaturel existe cela ne s’entend que relativement à un ordre naturel. Nous donnerons alors une définition de celui-ci. Nous serons ainsi amenés à exposer ce qu’est un ordre. Nous serons alors comme contraint de nous attarder sur la notion de miracle ; ou du moins sur un exposé de la différence entre les interventions divines dans les deux ordres. Cette approche continuera par l’exposé de la doctrine de la double finalité absolument ultime de l’homme, qui est une exigence logique de cette étude. Nous terminerons enfin cette étude par l’explication de la finalité absolument ultime de la Société Politique et de la Société Religieuse : l’Eglise.

 


Aperçu introductif

Pour bien saisir l’ampleur de la question et surtout les enjeux de celle-ci, nous proposons au lecteur la méditation de deux citations portant sur la finalité absolument ultime de l’homme : l’une tiré d’un livre récent : Politique chrétienne à l’école de saint Thomas d’Aquin et la seconde de Saint Thomas d’Aquin lui-même :

  1. « Il n’y a pas deux fins ultimes, il n’y en a qu’une et elle est surnaturelle »3

  2. « Le bien ultime de l’homme, qui meut en premier comme une fin ultime la volonté, est double. L’un d’eux est proportionné à la nature humaine, car les puissances naturelles suffisent pour l’obtenir ; (…) L’autre est le bien de l’homme qui dépasse la mesure de la nature humaine, car les puissances naturelles ne suffisent pas pour l’obtenir, ni même pour le connaître ou le désirer, mais il est promis à l’homme par la seule libéralité divine (…), et ce bien est la vie éternelle. »4


Ces deux citations sont en totale contradiction. La première nie l’existence d’une finalité absolument ultime naturelle et donc, par là-même, nie l’existence de l’ordre naturel comme nous le démontrerons ; la seconde affirme l’existence d’une unique finalité absolument ultime mais double, naturelle et surnaturelle. Nous allons démontrer qu’une telle confusion entre les ordres règne à cause d’un incompréhension de plusieurs éléments clés de la pensée réaliste, et même de la théologie catholique révélée.

C’est à une science éminemment thomiste que nous allons donc prêter notre plume, afin d’éclaircir du mieux que nous le pourrons cet aspect capital de la Réalité créée par Dieu.

Nous allons maintenant exposer comme expliquer plus haut, dans un ordre logique, les différents points de la question.

 

Thomas Audet
Pour Stageiritès

 


1 P. Mercier Alexandre op, Le surnaturel, Revue thomiste 1902, p 130.
2 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia, Q 58, a 5.
3 Abbé Guillaume Devillers, Politique chrétienne – A l’école de Saint Thomas d’Aquin, Édition Le Sel du 21/11/2009, page 143 en note.
4 Saint Thomas d’Aquin, De Veritate, Question 14 (La Foi), Article 2.