Lors des deux précédentes parties de cet article philosophique, nous avions dans un premier temps abordé le principe des quatre causes, puis celui de la hiérarchie et du fonctionnement des causes. Nous en avions conclu que la cause efficiente donne la forme à la matière en vue d’une fin spécifique à cette forme. Nous proposons maintenant d’approfondir ses notions.



Matière passive et forme active ; forme et finalité

Une notion non moins essentielle à considérer est celle de la matière passive et de la forme active. C’est à nouveau par la simple observation du Réel que nous pourrons réaffirmer ce principe inhérent à la cause matériel et à la cause formel.

Nous ne nous attarderons point de manière trop étendue sur tous les concepts que l’intelligence tire du composé hylémorphique1, même en ne considérant celui-ci que vis-à-vis de notre propos sur la hiérarchie des causes. Nous en dirons cependant suffisamment pour nous permettre d’affirmer avec certitude que la matière est en puissance vis-à-vis de la forme qui est en acte2.

Pour cela, nous reprenons à nouveau l’exemple de la chaise.

Nous allons montrer d’une part que la cause matérielle (ici le bois) est totalement passive vis-à-vis de la cause formelle (forme de chaise et non de table, etc.), et d’autre part que la seule « action » dont la cause matérielle puisse être capable soit une « action passive ».

Le menuisier, en travaillant le bois, sera plus ou moins gêné par la matière qu’il utilisera dans le but de fabriquer ladite chaise. Par exemple cela dépendra du type de bois, de sa qualité, etc. En effet il n’est pas aussi aisé de façonner du chêne que du pin. Autre éventualité analogue : il se pourrait fort bien que le bois soit malade ou vermoulu. Nous voyons ainsi que la cause matérielle possède une action négative et passive selon ses accidents (notamment la quantité, mais aussi la qualité3).

Or, que ce bois soit de n’importe quel type ou dans n’importe quel état, le menuisier pourra toujours en faire une chaise. Ce sera une chaise de bonne ou une chaise de mauvaise qualité, mais ce sera tout de même une chaise ; tant il est vrai que la forme-chaise est actualisatrice de la puissance passive qu’est la matière-bois.

Une chaise en bois vermoulu est pourtant bien une chaise.

Observons maintenant de manière plus attentive cette « action passive » de la cause matérielle notamment dans ses limites vis-à-vis de la Forme et de la cause efficiente lui donnant celle-ci.

La cause matérielle ne peut que gêner négativement tout au plus la finalité (spécifiée par la forme) poursuivie par la cause efficiente. Dans l’exemple que nous suivons, le menuisier pourrait fort bien utiliser des outils plus puissants pour un bois plus résistant, ou dans le cas d’une maladie du bois, il pourrait encore traiter le bois avec quelques produits pour l’améliorer.

Analogiquement une première déduction s’impose : la Rome moderniste pourrait fort bien appliquer quelque théologie savante4 pour nous traiter, sachant bien qu’à leurs yeux la FSSPX n’est sans doute guère plus que du bois vermoulu et difficile à façonner.

Nous pourrons en conclure avec une certitude totale que la cause matérielle est et demeure passive vis-à-vis de la cause formelle, appliquée par la cause efficiente afin d’obtenir la finalité recherchée.

Pour comprendre l’importance de ces lois métaphysiques, nous re-précisons plus spécialement le fait que la cause formelle soit spécifique à la cause finale de l’être tout entier. Comme nous l’avons vu, c’est bien la forme de chaise qui fera de tel bois une chaise et non un autre meuble (une armoire, une table, etc.). C’est donc bel et bien la forme qui spécifie la finalité. La matière atteindra toujours la finalité correspondante à la forme donnée par la cause efficiente. C’est la forme de chaise qui fera que ce bois (pin ou chaîne, bois vermoulu ou non, traité ou non…) sera à la fin : une chaise, un meuble pour s’asseoir.

 


Réponse à la question posée au paragraphe “de la Métaphysique à la Sagesse”

La question précédemment posée était5 :

« La FSSPX en entrant de plein pied dans l’église conciliaire, en se mettant directement sous l’autorité de Rome, c’est-à-dire ne formant dès lors plus qu’un seul être avec l’église conciliaire, pourrait-elle conserver la Foi traditionnelle, et agir « intra-muros » pour la transformer de l’intérieur afin d’obtenir de Rome son retour à la Tradition.»

En observant le Réel notamment dans l’histoire de la Fraternité Saint Pie X ; nous observons que c’est au contraire, en refusant la nouvelle théologie pré-conciliaire (Congar, Teilhard de Chardin, Chenu et consorts), la nouvelle liturgie de Paul VI (le NOM) ainsi que le nouveau rituel des sacrements6, en rejetant le nouveau code de droit canonique de Jean Paul II, en n’écoutant point les injonctions des dicastères et des autorités romaines qui ont suivi le concile, en refusant formellement les « sanctions » prononcées contre elle (pseudo-excommunication7), c’est-à-dire, en un mot, que c’est en refusant l’unité d’être avec l’église conciliaire, c’est à dire en rejetant la forme ! Que la FSSPX c’est gardée de tomber dans le modernisme et a conservé la Foi.

En appliquant les principes métaphysiques que nous avons mis en lumière (notion de quatre causes, hiérarchie des causes, passivité de la matière vis-à-vis de la forme active, la finalité spécifiée par la forme) à la question posée quant à la soumission par un accord pratique, de la FSSPX à la cause efficiente « Pape et gouvernement de la Rome moderniste », nous concluons fermement :

Si un accord pratique devait advenir : la FSSPX sera, lentement peut-être, mais inéluctablement entraînée progressivement vers le modernisme selon les principes divins des quatre causes8, PAR LA FORME, c’est à dire par les lois et les institutions et les rites, par les ordres et les injonctions donnés par la cause efficiente en vue de la finalité moderniste, qui sera de devenir moderniste elle-même et donc entraînera LA PERTE DE LA FOI9.

 


À suivre : Les causes de l’erreur actuelle, un providentialisme surnaturaliste a-théologique et a-philosophique ?

Thomas Audet
Pour Stageiritès

 


1 Hyle-matière, morphe-forme, composé matière-forme.

2 Puissance : état d’un être en mouvement vers son acte (exemple : le gland), Acte : état achever de l’être (exemple : le chêne).

3 Nous parlons de matière seconde et non de matière prime. La matière prime est pure puissance tandis que la matière seconde est déjà de la matière doué de forme, cela se conçoit facilement lorsque l’on se représente : telle matière est du bois, telle autre du fer, et telle autre du diamant etc. Ainsi les matières secondes sont en elles-mêmes déjà formées. C’est pourquoi il n’est pas contradictoire de parler de la qualité d’une matière seconde, car la qualité est un accident qui dépend de la forme de l’être (tandis que la quantité dépend de la matière). Cf. note 12 p. 8, Nature de la société politique, Bernard de Midelt.

4 L’herméneutique de la continuité par exemple.

5 Cf. partie 1 paragraphe 4

6 Il s’agit de cet adage : lex orandi, lex credendi, la loi que l’on prie, c’est la loi que l’on croit.

7 Cf. préface au Fideliter juillet 2012 n°208.

8 Divins car voulus par Dieu dans sa Création.

9 Relisons la lettre de Mgr Pozzo adressée à l’IBP en mai 2012.